Artistes – Warda

Warda Impératrice

Nar El Ghera est, avec Harramt Ahebak, le morceau qui a donné un deuxième souffle à la carrière de Warda en lui permettant de gagner un public jeune tout en maintenant des liens très forts avec ses fans de la première heure. Avec la complicité de Omar Bateesha et de Salah El Sharnobi, elle a réussi une excellente synthèse entre la modernité la plus audacieuse et la tradition la plus précieuse. En arabe, Nar El Ghera signifie « le feu de la jalousie », celui qui brûle les amants mais aussi les rivales les plus enragées de Warda : la Syrienne Mayada El Hannawi.

« Le feu de la jalousie » ! Ce sentiment incendiaire n’a cessé d’embraser la carrière de Warda Ftouki, avec mission de la contrarier : jalousie du sérail artistique égyptien qui, depuis son installation au Caire en 1960, voyait d’un mauvais œil la réussite d’une étrangère (elle est née en France en juillet 1940 d’un père algérien et d’une mère libanaise), jalousie d’un mari ancien maquisard épousé après l’indépendance de l’Algérie et pour qui elle avait renoncé pourtant à la chanson pendant neuf ans (en 1972, le Président Boumediene était intervenu en personne pour qu’elle honore de sa présence les festivités de la commémoration du dixième anniversaire de la libération du pays), jalousie parce qu’elle s’était mariée avec Baligh Hamdi, le modernisateur inspiré de la musique arabe alors au summum (elle en divorce en 1978) et, enfin, jalousie lorsqu’elle a pris un virage « jeel » (dance music de la nouvelle génération), affrontant ainsi, avec succès, des jeunes stars qui l’avaient enterré trop vite.

Warda a toujours su, avec courage et sérénité, surmonter les épreuves les plus redoutables. Depuis 1957, malgré quelques interruptions, elle a interprété près de trois-cents chansons et vendu vingt millions d’albums et cassettes à travers le monde. Comme Abdel Halim Hafez, elle a révolutionné l’ordre établi en transformant ses prestations en shows où elle bouge, sourit et communique avec l’assistance. Mieux, elle est celle qui a chanté le patrimoine arabe dans son ensemble en réussissant la jonction Maghreb-Machrek et en appliquant, avec talent, la pertinente formule de Mohamed Abdel Wahab (le bon génie qui l’avait encouragée à ses débuts) : « Ce n’est pas à l’art de se renouveler mais à l’artiste ».

Avec Faïrouz, elle fut, jusqu’à sa disparition un 17 mai 2012 au Caire, l’ultime légende d’une époque fastueuse qu’elle perpétua à sa manière, disons impériale. Dans cette captation d’un inoubliable concert, en 1995, au Palais des Congrès de Paris, elle décline, tout en décontraction et aisance, le meilleur de ses titres avec, en bonus, une reprise de « Fais comme l’oiseau », une chanson brésilienne qui avait été adaptée par Michel Fugain.

 

Rabah Mezouane